Par Cécile Lavisse, Avocat.
Depuis le 6 octobre 2022, pour être référencés sur la plateforme Mon Compte Formation répertoriant les actions de formation éligibles au CPF, les nouveaux organismes de formation, ainsi que les nouveaux établissements des organismes de formation déjà sur la plateforme, doivent se soumettre à une procédure d’enregistrement pour accéder à l’espace en ligne « EDOF ». Les rejets des demandes d’accès à EDOF par la Caisse des dépôts et consignations étant fréquents, le présent article fait le point sur les recours possibles.
Dans de précédents articles, nous avions évoqué les recours possibles à l’encontre d’une décision de sanction de déréférencement infligées par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) (Voir l’article Sanction de déréférencement des Organismes de Formation par la Caisse des dépôts et consignations : les recours possibles), ainsi que les modifications introduites par la proposition de loi de lutte contre la fraude au CPF, et ladite loi qui est entrée en vigueur (Voir les articles Organismes de formation : le point sur la proposition de loi de lutte contre la fraude au CPF ; Organismes de formation et CPF : de nouveaux déréférencements et refus d’accès à edof en perspective).
Depuis plusieurs mois, pour faire face aux fraudes constatées et aux importants déficits publics générés par le dispositif de monétisation du compte professionnel formation (CPF), la Caisse des dépôts et consignations s’est vue doter de nouveaux pouvoirs lui permettant, non seulement, de contrôler les organismes de formation déjà présents sur la plateforme, et de leur infliger des sanctions, mais encore, de restreindre l’accès à MonCompteFormation, via une nouvelle procédure d’enregistrement.
Les organismes de formation souhaitant être référencés doivent désormais suivre une procédure d’enregistrement en ligne décrite dans le cadre d’une « note » diffusée par la Caisse des dépôts et consignations, afin d’accéder à l’espace en ligne « EDOF » [1].
Cependant, nombreux sont les organismes qui se voient opposer arbitrairement par la CDC, pour des motifs plus qu’obscurs parfois, un rejet de leur demande d’accès à EDOF.
Une telle pratique est contestable à plusieurs titres :
A ce jour, le décret d’application de l’article L6323-9-1 du Code du travail relatif à la demande d’accès à EDOF que doivent adresser les organismes de formation n’a pas été publié. Cela n’empêche pourtant pas la Caisse des dépôts de soumettre les demandes d’accès à des conditions et modalités très restrictives, sollicitant, notamment, la production de documents et pièces qui ne sont prévus par aucun texte, parfois, à l’égard d’organismes qui ne peuvent fournir de tels documents ;
Une demande d’enregistrement imposée pour tout nouvel établissement (nouveau Siret) d’un organisme de formation déjà enregistré, à défaut de quoi, ce dernier est, d’office, déréférencé. Or, une telle obligation imposée à des organismes déjà référencés est discutable. En effet, l’article L6323-9-1 du Code du travail vise les « prestataires » et non les « établissements ». En cas de changement de Siret lié, par exemple, à un déménagement de siège social, le prestataire demeure identique. Ce faisant, la Caisse des dépôts et consignations impose des restrictions et conditions d’accessibilité contestables. Certains organismes de formations, pourtant référencés précédemment et qui ont simplement changé de Siret, voient leur demande d’accès rejetée par la Caisse, abusivement. Bien qu’une procédure dérogatoire soit prévue et simplement mentionnée par la CDC dans la « note » diffusée par le Directeur de la Formation Professionnelle et des Compétences, avec un délai réduit d’instruction de 3 semaines, dans les faits, il n’en est rien. Ainsi, certains organismes se trouvent placés en grande difficulté, ne pouvant plus commercialiser leurs formations, par suite d’un simple changement de Siret ;
Pour rappel, les nouvelles dispositions de l’article L6323-9-1 du Code du travail prévoient désormais que « la Caisse des dépôts et consignations peut refuser de référencer le prestataire qui, au cours des deux années précédentes, a fait l’objet d’une sanction du fait d’un manquement à ses obligations contractuelles prévues par ces conditions générales d’utilisation« . Compte tenu des sanctions infligées massivement par la Caisse des dépôts et consignations à de très nombreux organismes de formation, lesdits organismes de formation pourraient tout bonnement se voir refuser toute demande d’accès à EDOF à l’issue de la période de sanction. Dans ce contexte, même un simple avertissement peut entraîner un refus d’accès. Il est donc important, pour les organismes concernés, de contester toute sanction abusive sans attendre, au risque de ne plus pouvoir être référencé ou d’être déréférencé par la suite. Nous l’avons vu, l’objectif des pouvoirs publics est, à ce jour, de restreindre fortement l’accès au dispositif CPF pour limiter les déficits publics qu’il engendre ;
Les pratiques restreignant l’accès au marché économique de la formation professionnelle financée via le CPF, prenant la forme d’une régulation selon des critères non-transparents, est discutable au regard, tant, du principe de liberté du commerce et de l’industrie, que du principe de liberté d’établissement issu du droit européen. La directive n°2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur encadre la possibilité pour les États de soumettre une activité à un régime d’autorisation préalable. En l’occurrence, certains critères appliqués par la Caisse des dépôts peuvent s’avérer parfaitement discriminatoire, au-delà de leur opacité ;
La conformité d’un tel dispositif peut également être contestée au regard du droit européen des aides d’Etat ;
Les décisions de rejet opposées ne respectent bien souvent, ni les règles de forme (légalité externe), ni les règles de fond (légalité interne), imposées par les textes et la jurisprudence administrative (ensemble des décisions rendues par les juridictions administratives en la matière).
En cas de décision de rejet d’une demande d’accès à EDOF, qu’elle soit expresse ou tacite (absence de réponse dans un délai de deux mois), il est possible de réagir sans tarder, en engageant un recours dans un délai de deux mois.
Il est ainsi possible d’adresser un recours administratif préalable contestant la décision de rejet. Attention toutefois à se faire accompagner, afin de ne pas omettre certains arguments de poids qui ne pourront, dans certains cas, plus être développés par la suite, le recours préalable devant respecter impérativement certaines règles de forme.
Un recours en justice peut également être engagé devant le tribunal administratif compétent, pour solliciter une annulation de la décision de rejet. Un recours en référé suspension, permettant d’obtenir rapidement une décision de justice afin d’obtenir la suspension de la décision de rejet irrégulière, et une injonction, pourra être envisagée dans certaines hypothèses. La condition d’urgence doit toutefois être démontrée. Mieux vaut donc disposer d’éléments solides pour attester des difficultés rencontrées, notamment, d’un point de vue économique.
En cas d’extrême urgence justifiée par de graves difficultés économiques, et/ou sociales (ce peut être le cas pour les organismes auparavant référencés qui voient leur demande abusivement rejetée ensuite d’un changement de Siret), la voie du référé liberté (recours permettant d’obtenir une décision de justice sous 48 heures), pourrait être tentée.
Enfin, en cas de préjudice, un recours indemnitaire peut également être envisagé, à condition, là encore, de justifier du préjudice subi et du lien direct entre la décision de rejet irrégulière, et ce préjudice.
Les délais de recours étant très brefs, il est recommandé ne pas attendre, et de se faire accompagner par un avocat compétent en droit administratif et en procédure administrative, sensibilisé à ces problématiques récentes très spécifiques.